Agile : miser sur l’autonomie des équipes

Les équipes R&D ont été réorganisées selon des préceptes empruntés à la méthode « Agile ». Trois ans après , la direction admet que cette réorganisation majeure ne produit pas les bénéfices attendus. Pour la Cfdt, il est essentiel de ne pas en rester là, pour la qualité de vie au travail des salariés, comme pour l’efficacité collective.

La transformation Agile, une opportunité pour renforcer l’autonomie

L’autonomie est une valeur essentielle pour la Cfdt. La transformation Agile s’est donné comme objectif de favoriser l’autonomie des personnes, et l’autonomie des collectifs de travail : la Cfdt souscrit à l’intention !

L’enquête menée par la direction indique pourtant que les salariés ne se sentent pas plus autonomes dans la nouvelle organisation. Fidèle à son approche pragmatique et progressiste, la Cfdt fait des propositions pour ne pas en rester là.

Qu’est-ce que l’autonomie?

La revue cadres Cfdt publiait en 2016 un numéro dédié à l’autonomie. Dans l’éditorial de Laurent Tertrais, on précise que « l’autonomie est la faculté d’agir librement (…). Elle se combine souvent avec l’initiative pour définir une capacité d’action, une capacité de proposer et de mettre en oeuvre une solution face à un problème posé, sans attendre l’intervention d’un tiers. »

De l’autonomie à la coopération

Agir librement ne va pourtant pas de soi dans des activités R&D où le travail en équipe est incontournable. L’édito Cfdt ne s’y trompe pas et conclut ainsi : « L’autonomie n’est pas une indépendance accordée sans appuis ni autoproclamée, au risque d’en rester à la servitude ou à la solitude : elle s’éprouve et s’exerce dans la coopération ».

L’autonomie se comprend donc dans la coopération; elle implique l’organisation du travail et les objectifs assignés par le management. Avec Agile, elle se situe maintenant à deux niveaux : celui des individus, et celui des équipes (« squad » dans le vocabulaire Agile). Cette idée de l’autonomie des équipes par rapport au management est un des points forts apportés par la méthode Agile.

Le management est-il disposé à lâcher le manche ?

élargir le périmètre d’autonomie

L’autonomie des Squads suppose que l’équipe puisse décider collectivement, des engagements qu’elle prend, et de ceux qu’elle décline.

Encore faut-il qu’elle ait le droit de renoncer à quelque chose! Ce que l’on observe, c’est que le pilotage par les BUs n’a pas changé : la « roadmap projets » est toujours là, et impose projets et délais associés (Cf notre précédent article).

Dans le préimètre MVO (moyenne tension), le management a ainsi précisé fin 2023, que l’autonomie de décision des squads se limite à de faibles variations autour de sa « roadmap ».

Modifier l’organisation pour prendre en compte l’autonomie

La squad devrait pouvoir négocier ses engagements de réalisation, dans un dialogue au même niveau que le responsable de ligue, qui fixe les priorités. L’organisation actuelle ne le permet pas : le Product Owner est le subordonné direct du responsable de ligue.

Si le constat est que la direction ne peut pas, ou ne veut pas, lâcher le manche, alors il faut probablement constater qu’Agile ne peut pas s’appliquer à tous les projets. Pourquoi ne pas se le dire clairement ? Cela aurait l’avantage de rouvrir le débat sur les capacités de la squad, permettant de mieux gérer la charge. Pour autant, cela ne devrait pas empêcher l’autonomie des équipes sur d’autres projets et actions.

Préciser la coopération entre squads

De nombreuses squad ne gèrent pas des produits, mais des sous-ensembles intégrés par d’autres squads. Ce contexte limite l’autonomie de ces squad. Dans la pratique, l’efficacité semble nous ramener à un effort de programmation. Quel espace reste-il pour un ajustement entre squads? Par quel processus peut-il se faire? Est-ce que ces squads « sans produits » peuvent fonctionner comme les autres?

Pour la Cfdt, il paraît nécessaire que toutes les squads contribuant à un même produit soient impliquées à l’identique dans les boucles de validation avec les clients, et la programmation des projets.

Décider à plusieurs : un apprentissage qui doit continuer

Une question de méthode

En espérant que l’organisation laisse demain, davantage d’espace de liberté aux squads, comment l’équipe instruit-elle les décisions en son sein ? Comment décider à plusieurs? La transformation Agile n’a pas proposé de repères sur ce point ; pourtant, l’autonomie ne va pas sans cadre.

Ainsi, Gilles Verrier, ancien DRH, estime dans son article qu’ « une liberté décrétée sans accompagnement peut déboucher sur de la maltraitance organisationnelle ». D’autre part, la délibération collective peut être entachée de nombreux biais, étudiés par le sociologue Bernard Bougon dans cet article. En étudiant les modalités « d’arrêt de la décision », il montre que dans bien des cas, la fin de la délibération est prononcée d’autorité, ou par défaut, sans que l’adhésion des participants ne soit vérifiée. (Autre ressource : cet article de Christian Morel sur les décisions collectives absurdes).

Pour la Cfdt, les membres des squads devraient disposer d’un temps d’analyse et de préparation, pour identifier toutes les alternatives possibles. La prise de décision pourrait aussi faire l’objet d’un processus formalisé ; comme le vote, ou autre.

En l’absence de cadre de référence, il semble que bien souvent, le couple « Product Owner (PO) – Scrum Master (SM) » a simplement remplacé le couple « Marketeur Projet – Chef de Projet ». L’autonomie fait pfchitt..

Décliner Agile pour les activités autres que les projets de développement (PMP)

Une squad doit aussi travailler sur son cumul de compétences, la formation interne, l’anticipation technologique : des activités qui s’inscrivent dans le temps long. Quant aux actions de gestion technique, elles s’inscrivent cette fois dans le temps court, voire dans l’urgence. Comment gérer l’effort consacré par la squad à ces travaux ? Jusqu’ici, cette question a été peu abordée dans la réorganisation Agile.

Si la réorganisation Agile est un long chemin, pour la Cfdt, il est nécessaire de continuer à élaborer un modèle adapté à Schneider. Cette réorganisation d’ampleur a beaucoup perturbé, elle a aussi créé des attentes et des frustrations. D’autres mouvements généraux sont maintenant en cours : le multi-hubs, les nouvelles normes qualités Dfsr, le nouveau processus ELM. Agile, bientôt oublié ? La Cfdt espère que la direction maintiendra ses ambitions quant à l’autonomie des équipes.